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Biographie

Suzanne Braudeau, la Saintongeaise (1892-1966)

Suzanne est la fille aînée de Philippe Bonnet, figure de la Saintonge, et d’Adeline Orget. Elle naît à Saint-Georges des Côteaux en septembre 1892. Elle passe une petite enfance heureuse avec ses trois frères, Jean qui la suit de onze mois, Pierre de quatre ans et Paul de six ans.

Mais elle a onze ans quand elle commence à prendre des leçons à Saintes, au cours secondaire et auprès de trois vieilles demoiselles chez qui elle vit du lundi au samedi. Suzanne a elle-même décrit l’ennui et la solitude de ces années de formation, éclairées par le « doux rêve » de devenir la femme d’André Braudeau, « petit compagnon de jeux » des vacances à Taillebourg, mais endeuillées par la mort de sa chère Maman en décembre 1906. Suzanne a alors 14 ans. (Cf. Journal de Suzanne Braudeau 1918, publié avec les Carnets de guerre 14-18 d’André Braudeau chez autres-talents.fr)

Entre autres mérites, il faut reconnaître à Philippe Bonnet (né à Saint Georges des Côteaux en octobre 1860 et mort à Royan en août 1935) celui d’avoir voulu pour son aînée, une bonne éducation, prévue pour les filles dans la République à l’époque : Français, Mathématiques, Littérature, Géographie, Histoire en plus de la couture, du dessin, de la peinture. Ces deux derniers apprentissages permirent à Suzanne, lorsque les charges familiales diminuèrent, de faire de l’aquarelle et surtout de la peinture à l’huile, ses passe-temps favoris.

En 1893, un an après la naissance de Suzanne, la ville de Saintes créa un cours municipal d’éducation primaire supérieure pour les filles, les conduisant au brevet simple. En 1898 ce cours, trop étroit, fut transféré rue Saint Maur (au 2 et 2bis) et en 1909 définitivement installé dans l’immeuble des Ursulines à Saint Eutrope. A la fin du siècle, le collège de jeunes filles de Saintes tenait, du point de vue du nombre d’élèves, le 1er rang des collèges des Académies de Poitiers et de Bordeaux et le 7ème rang en France : la Saintonge est donc bien une terre de tradition d’égalité des chances entre les garçons et les filles dans leur développement et leur complémentarité.

Le 17 mai 1910 à Taillebourg, Suzanne Bonnet épouse, comme elle le souhaitait tant, à Taillebourg, André Braudeau. Elle est dans sa 18ème année ; lui dans sa 24ème année. Il est le petit-fils de Toussaint Quéré, grand ami de Philippe Bonnet. Elle quitte donc son père et ses frères, pour suivre son mari, professeur de mathématiques, dans les différentes écoles normales où il est nommé : Savenay, Pons tout d’abord en Charente, puis Mauléon, dans les Pyrénées Atlantiques où André Braudeau est Inspecteur Primaire en 1914.

14-18 : Son mari mobilisé, elle revient en « Charente inférieure », avec ses deux premiers enfants et parcourt la campagne pour assister les uns et les autres, de Saintes à Saint-Georges et Taillebourg, dans sa carriole tirée par sa jument. Nouveau drame en octobre 1918 : son frère Jean, maréchal des Logis, meurt au combat à 25 ans, un mois avant l’armistice, négocié pourtant depuis des mois. Enfin au début de l’année 1919, son mari revient après une captivité de près de huit mois en Allemagne ; il est démobilisé en mars.

En 1920, « pour rassembler sa tribu », Philippe Bonnet achète à Royan-Pontaillac, avenue des Montagnes russes, une maison de style chalet, la villa « Utile » et les hangars y attenant à l’arrière, donnant sur la rue de la plage. André et Suzanne Braudeau, qui poursuivent leur long périple en France et les « Saintais », les frères de Suzanne établis à Saintes et à Saint-Georges des Côteaux, y passeront leurs vacances pendant plusieurs années.

Il faut suivre la carrière d’André Braudeau, (signalée dans le livre cité plus haut) pour comprendre la variété des contrées et paysages de France qui ont imprégné notre Saintongeaise : 2 ans à Confolens, 3 ans à Saint Lô, 8 ans au Mans, 15 ans à Rouen. C’est à Rouen que passe la deuxième guerre mondiale ; l’Ecole normale que dirige André est rapidement occupée par des troupes allemandes en plus des élèves. Suzanne nous racontait en riant qu’ elle épluchait des kilos et des kilos de pommes de terre destinées à l’occupant, tout en prenant soin de faire des épluchures très épaisses, mises de côté pour garnir la soupe des élèves ! Du port de Rouen elle nous a laissé une de ses plus belles grandes toiles !

En 1945, Rouen est bombardé, Royan est bombardé… par les alliés. L’école normale de la rue Saint Julien, à Rouen, n’est pas touchée tandis que le toit de la maison de Pontaillac a été soufflé, puis est retombé au niveau du rez de chaussée et même de la cave. En 1946 les « grandes vacances » se passeront encore à Saint-Palais, à côté de la famille Rouet.

En 1948, André Braudeau prend sa retraite et le couple, qui a déjà 13 petits-enfants, s’installe définitivement dans la villa de Pontaillac, que Suzanne a héritée de son père.

Pendant presque deux décennies, dans la villa rebaptisée « Saintonge » sur l’avenue devenue « de Cognac », Suzanne et André accueilleront aux vacances leurs enfants et leurs petits-enfants, tous les trois ans pour les 3 familles de coloniaux en poste en Afrique et à Madagascar et qui ne se croisent pas toujours. Ils auront aussi chez eux certains de leurs grands petits-enfants pour une année scolaire entière.

Pour assurer le ravitaillement des tablées de 10 à 15 affamés, matin, midi et soir, Suzanne infatigable, fréquente de bon matin les marchés, celui de Pontaillac bien sûr, (devenu le Musée !), ou la Cité commerciale provisoire des Gardes, puis après la reconstruction le tout nouveau marché central couvert de Royan, le parapluie comme nous disions enfants, émerveillés.

Hors saison, le calme revient ; André écrit, lit beaucoup, écoute de la musique classique, manque rarement ses balades le long de la côte, écrit dans l’intimité de son bureau, ses commentaires sur l’actualité locale, nationale et internationale. Il ne donne à personne le loisir de lire les 8 volumes de ses « notes au jour le jour », découvertes après son décès. Il réalise également quelques petits meubles dans l’atelier de menuiserie, qu’il s’est installé au grenier du premier étage.

Suzanne peint et récupère pour elle-même son propre atelier, transformé l’été en chambre des filles. Quelle merveille de grandir, et d’avoir le droit de quitter la chambre bleue, réservée aux petits pour passer dans l’atelier et y dormir ! Odeur des tableaux qui sèchent ! Envoutement définitif.

La maison de Pontaillac se tapisse des toiles de Suzanne.

Aujourd’hui encore, à Pâques, lorsque la forêt de la Coubre se couvre d’ajoncs et de genêts en fleurs, je vais m’y promener, m’approche des fleurs pour saisir leur parfum sucré, ferme les yeux et me retrouve petite-fille. J’ai 12 ans tous les ans, je suis aux côtés de ma grand-mère quand elle nous proposait de l’accompagner un bout d’après midi, dans sa 203, jouer à se perdre tandis qu’elle plantait son chevalet et troussait une première esquisse.